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Frédéric Sanchez et la mobilité à Rouen : « Inaugurer la première ligne de bus automatique au monde »

Frédéric Sanchez, président de la Métropole Rouen Normandie, livre sa vision sur la question de mobilités : voiture individuelle, transports en commun, mobilités alternatives.

Frédéric Sanchez, président de la Métropole Rouen Normandie, dans son bureau du 108, mercredi 12 décembre 2018.

Frédéric Sanchez, président de la Métropole Rouen Normandie, dans son bureau du 108, mercredi 12 décembre 2018. Il nous a répondu au sujet des mobilités. (©FM/76actu)

La mobilité est une question cruciale des agglomérations du XXIe siècle. La ville de Rouen (Seine-Maritime) et sa métropole n’y échappent pas. Son président, Frédéric Sanchez (PS), en a fait un grand enjeu de son mandat. Nous l’avons interrogé à ce sujet le jeudi 12 décembre 2018 au siège de la Métropole Rouen Normandie. Cet entretien a été découpé en trois thématiques : voiture individuelle, transports en commun et mobilités du futur.

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Voici le troisième et dernier volet, consacré aux modes de transports alternatifs. Le premier a été publié vendredi 21 décembre et le second mercredi 26 décembre, sur 76actu.

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« Je suis absolument hostile aux expérimentations gadget »

76actu : Cette dernière partie est consacrée aux mobilités alternatives. Vous multipliez les expérimentations – voiture autonome, bus à double étage ou électrique… Est-ce qu’il y aura une vraie finalité ou c’est un gadget ?

Frédéric Sanchez : Je ne sais pas ce que vous appelez les mobilités alternatives, elles sont incroyablement classiques ! On les redécouvre, c’est tout. Nos expérimentations visent à tester de nouvelles motorisations : l’électrique, car je souhaite progressivement électrifier le parc. Encore faut-il que les coûts soient maîtrisés et que les véhicules rendent les services qu’on en espère. Le bus à étage c’est pareil, ça prend moins de place sur une station par rapport à un bus articulé donc j’attends avec intérêt les résultats de l’expérimentation pour passer commande.

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Donc oui, il y a une vraie finalité ! J’ai l’ambition d’inaugurer la première ligne de bus autonome du monde. C’est à ça qu’on travaille dans le cadre du dossier Tiga (Territoire d’innovation et de grande ambition), avec notre partenaire Transdev. C’est une compétition mondiale. Et l’expérimentation que nous menons au Madrillet avec les voitures autonomes est réellement de rayonnement mondial. L’objectif est de permettre des avancées technologiques qui permettront très vite d’y arriver. J’essaie d’organiser les choses pour que, dans le courant de la prochaine décennie, on inaugure la première ligne de bus sans chauffeur. C’est la promesse, demain, d’une meilleure desserte des zones d’activité économique. On a un mal de chien à proposer des solutions de transport en commun dans ces zones, ou les zones rurales, cela résoudrait nos problèmes. Ce sera difficile, à cause de la configuration des routes, mais ça constitue une vraie promesse. Je suis absolument hostile aux expérimentations gadget pour montrer de quoi on est capables, ce n’est pas ça le sujet. Le sujet, c’est d’inventer de nouveaux services parce que je suis convaincu que dans nos villes et nos campagnes, les êtres humains vont vouloir continuer à se déplacer : en sécurité, que ça ne soit pas trop cher, efficace et régulier. Le véhicule autonome apporte cette promesse-là.

Concernant le véhicule autonome, y aura-t-il de nouveaux tracés ?

Bien sûr, la ligne de bus en question n’est pas sur la zone du Madrillet. C’est sur une autre ligne de bus qu’on commence à réfléchir. Je ne peux pas vous dire laquelle.

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« J’incite Damien Adam à approfondir les sujets avant de rebondir »

Fin 2017, vous avez inauguré une station à hydrogène au Boulingrin. Depuis, qu’avez-vous fait sur ce sujet ?

Les véhicules sont extrêmement chers pour le moment, je suis assez prudent. On participera à des appels à projets nationaux, avec d’autres territoires, pour essayer de progresser sur ce sujet. On est encore dans le cercle vicieux : les industriels hésitent à se lancer dans des productions car ils ne sont pas certains d’avoir des clients. Il faut qu’on fasse, nous Métropole avec d’autres partenaires, le geste d’acquérir d’autres véhicules pour que les prix diminuent. L’une de nos difficultés, c’est qu’il y a peu d’industriels français ou européens capables de produire des véhicules.

Où en est le dossier de l’usine Tesla, sur laquelle Damien Adam vous a interpellé sur Twitter ?

J’incite Damien Adam à approfondir les sujets avant de rebondir dessus un peu vite et publiquement via Twitter, ce n’est pas comme ça qu’on travaille. C’est un sujet ancien, qui tourne depuis longtemps et sur lequel on a essayé de positionner l’agglomération de Rouen. On essaie d’être attentifs mais beaucoup d’éléments nous échappent dans ce dossier qui est ancien. Il connaît régulièrement de nouvelles phases d’actualité sans que tout cela soit très concret.

« Revenir en arrière, pour le coup, c’est un progrès »

Puisqu’on parle d’avenir, parlons marche et vélo. La prime de 300 euros pour les 1 000 premiers acheteurs d’un vélo électrique a été mise en place, où en est-on ?

Nous sommes à quasiment 500 commandes. Ça marche bien, c’est un peu devenu le cadeau de Noël et j’en suis heureux. Il y a quand même un effet d’aubaine, des personnes qui accélèrent leur achat mais qui l’auraient fait quand même. Ce véhicule est vraiment parfait, j’en suis un utilisateur régulier depuis quelques années et intense depuis fin août, et il est très efficace. Pour le coup, c’est nouveau, le vélo électrique. Les performances correspondent à ce dont on a besoin pour faire 3, 4 ou 5 kilomètres dans la Métropole avec notre géographie. Mais mon idée, en finançant 1 000 premiers achats – on verra si on décide d’en rajouter – c’est que 1 000 personnes de plus, 2 000 avec les conjoints, qui expliquent à quel point c’est bien feront passer à l’acte davantage de monde. Ça ne suffit pas à développer massivement la politique du vélo, il faut qu’on continue à en faire une priorité de nos aménagements de voirie. Je viens de passer une heure au Trait sur un projet de voie verte qui est aussi un projet de mobilité du quotidien pour cette ville, Yerville et Duclair. Cela devra progresser assez vite dans les cinq ans qui viennent. On a un objectif de plus de 100 kilomètres de pistes ou d’aménagements cyclables supplémentaires.

Quant à la marche, les choses sont très claires : on s’est déshabitué de marcher pour plein de raisons, à Rouen comme ailleurs. Il y a un enjeu psychologique assez fort sur la perception des distances. On va, avec cette affaire de magistrale piétonne, essayer de renverser les choses, parce que ce sera agréable de marcher. Il faudra aussi traiter la traversée de la Seine. On a élargi le trottoir de façon importante sur le pont Boieldieu, cette plateforme sera aménagée avec du mobilier urbain de qualité pour que ça devienne un espace agréable et qu’on se rende compte qu’entre la gare et Saint-Sever, ça prend 20 minutes quand c’est peut-être 15 minutes en voiture. En disant ça, je n’ai pas l’impression d’inventer les mobilités du futur. C’est simplement réaménager nos villes, parce que la priorité aux voitures voulait dire qu’elle n’était pas donnée aux piétons et aux vélos. On a démonté des trottoirs et des pistes cyclables que j’ai connus gamin à Rouen, dans les années 1960. Revenir en arrière, pour le coup, c’est un progrès.

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« Il n’y a pas encore assez de cyclistes »

Il y a beaucoup de problématiques liées au vélo : rue Saint-Vivien avec des voitures garées sur la piste cyclable, sur les quais avec les croisements de route… Comment sécuriser les déplacements quotidiens des cyclistes ?

C’est un ensemble de choses, je pense que le sujet principal c’est qu’il n’y a pas encore assez de cyclistes. Il faut, bien sûr, qu’on aille plus loin dans les aménagements. Qu’on aille plus loin, dès qu’on peut, dans le fait d’isoler une piste cyclable distincte du trottoir, de la voirie. Ce n’est malheureusement pas souvent possible dans la Métropole et dans le coeur de Rouen car c’est une ville historique avec la dimension et le gabarit des rues qu’elle a. Il y a des villes en France plus favorables de ce point de vue. Notre responsabilité, dans les cinq ans qui viennent, c’est de faire cela. J’espère qu’à un moment donné, la masse critique de cyclistes sera atteinte, de telle sorte que l’idée du partage de l’espace public, enfin progressera. La difficulté aujourd’hui, c’est que nous sommes sur une part modale de 3 % à Rouen et de 1 % dans la Métropole. La part des cyclistes n’est pas assez grande pour que tout le monde, notamment les automobilistes, intègre dans ses comportements qu’il y a à prendre en considération l’existence de ces cyclistes.

Cela passe aussi par l’extension de vraies zones partagées…

Bien sûr. C’est ce à quoi les élus commencent à travailler. On vient de lancer des ateliers dans nos cinq pôles de proximité sur le schéma directeur des mobilités actives. On regarde comment multiplier les zones 30, les zones de rencontre, les rues limitées à 30… De façon à parvenir à cet apaisement de la ville et des villages, qui est une priorité de nos habitants. Dans toutes les réunions de quartier, de village, on nous parle de sécurité routière ou de mieux partager les espaces, des trottoirs plus larges… Compte tenu de la configuration rouennaise, le partage de l’espace public est une vision d’avenir. On ne peut pas segmenter l’espace public partout.

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« Les associations doivent porter un message plus positif »

Est-ce que l’avenir, ce n’est pas un hyper centre piéton et cycliste, à l’intérieur des boulevards de Rouen ?

Il ne le sera jamais complètement, des milliers de personnes vivent dans l’hyper centre et veulent pouvoir accéder à leurs garages. Dans notre jargon, ça s’appelle les supermanzanas (blocs urbains à circulation limitée, comme à Barcelone, ndlr). C’est le travail de réflexion que nous sommes en train de mener avec la Ville de Rouen sur le quartier des Capucins, qui n’est pas une piétonnisation permanente. C’est un fonctionnement collectif qui fait que l’usage de la voiture est autorisé à certaines heures. Cela demande une grande maturité collective parce que ça suppose de respecter certains horaires, de mesurer le gain de qualité de vie. Ces affaires-là existent déjà dans certaines villes en Europe, le maire de Pontevedra était venu nous en parler il y a deux ans à l’occasion d’un forum au 106. C’est la ville en pointe (le centre-ville est interdit aux voitures, ndlr). L’idée selon laquelle les cyclistes sont sur leur rail, les piétons sur le leur et les voitures sur le leur, ce n’est pas pertinent partout. Réussir à partager les espaces, ça demande une progression des comportements. Pour cela que malgré tout il y a de l’innovation. Il y a de l’innovation sociale et ça a beaucoup à voir avec la capacité de nos habitants à vivre ensemble. Si on n’est pas capable de vivre ensemble et de construire une vision respectueuse selon comment les autres se déplacent, on aura du mal à progresser. Moi je vois qu’on progresse vite, les contre-sens cyclables sont de plus en plus utilisés et les automobilistes s’y habituent. En les prenant, heureusement pour moi, de moins en moins d’automobilistes me klaxonnent.

J’ai un message pour mes partenaires spécialisés dans le vélo : j’aimerais qu’ils portent plus souvent un message positif. On travaille beaucoup avec les associations spécialisées et elles ont raison d’être exigeantes avec les pouvoirs publics et de nous demander d’être plus résolu, elles sont là pour ça. Mais elles devraient aussi nous dire pourquoi c’est bien de prendre le vélo, pourquoi c’est agréable, économique, efficace. Et la réalité de la dangerosité : les statistiques ne font pas apparaître, à Rouen comme ailleurs, de dangerosité particulière. Je sais bien que plus il y aura de cyclistes, plus il y aura d’accident les impliquant, mais on n’est pas dans quelque chose de dangereux. Et je trouve que les associations doivent, vis-à-vis du grand public, porter un message plus positif. Il y a trop de messages, à Rouen, très négatifs. Si on les écoutait, on arrêterait de faire du vélo !

« C’est un boulot à plein temps de s’occuper de la Métropole »

Nous allons conclure : beaucoup d’expérimentations, beaucoup de nouvelles idées, mais pas beaucoup qui se réalisent encore, sur les mobilités. Est-ce que…

Ah bon ! Pourquoi vous dites ça ? Ce n’est pas gentil de me dire ça à la fin de notre entretien ! (Rire.) Parce que Teor 4 ce n’est pas une concrétisation ?

Elle ne roule pas encore, on pourra en reparler le 26 mai. Est-ce que vous faites des mobilités l’enjeu principal de votre mandat et donc de votre prochaine campagne, si campagne il y a ?

L’affaire du bilan est un sujet beaucoup plus global que celui-là. Je pense que nous aurons un excellent bilan. Ce territoire se sera modernisé, aura investi comme jamais grâce au passage en Métropole. Je suis très fier d’avoir contribué, avec mes 70 collègues, à cette séquence intense qui organise la renaissance rouennaise. La multiplication de nos initiatives, cette mobilisation rendue possible par l’intégration des compétences et des moyens financiers dans la Métropole, ce territoire en avait besoin. Imaginons deux secondes ce qu’il se serait passé dans la ville centre, si la Métropole n’avait pas été créée. La ville centre n’avait pas les moyens de rénover ses ponts, ses tunnels, ses voiries. Des drames se seraient produits, pas humains, mais on aurait fermé des ponts, des tunnels, des parkings ! La Métropole s’est mise en action, on résout des problèmes, on maintient et on développe des services.

Le bilan sera là. La question importante pour un élu comme moi, c’est la construction du projet. Et évidemment qui se rassemble autour. À partir du mois de janvier, je vais consacrer à une démarche que j’appelle “Ambitions communes 2030”, transpartisane, pour vérifier si une majorité de projet se dessine à l’échelle des 71 communes. Je considère que c’est un boulot à plein temps de s’occuper de la Métropole, c’est pour ça que je ne souhaite plus être maire du Petit-Quevilly pour le prochain mandat. Ce n’est pas la même chose d’être en Métropole et de ne pas y être : jusqu’en 2014 on était en agglomération, c’était un autre job. L’intégration des compétences oblige le président de la Métropole à une présence permanente auprès des 71 communes et à construire ce chemin collectif qui n’est pas si facile que ça à construire. Partager une vision commune des projets à l’échelle de maires qui ont des options politiques, des intérêts locaux légitimes, c’est pas simple. Je ne recommande pas, dans les années qui viennent, de cumul de mandat parce que le président de la Métropole doit avoir une position neutre à l’égard des communes. Il ne doit pas être soupçonné de favoriser sa commune, ou la ville centre d’ailleurs. Beaucoup d’élus sont inquiets de voir la ville-centre favorisée, car nous avons fait beaucoup de choix en sa faveur sur ce mandat-là. Il y a un enjeu d’équilibre à l’échelle du territoire.

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Il va donc falloir vérifier quel collectif de maires se met en place pour porter une vision, un bilan, un projet. J’aurai cette décision à prendre autour de l’été, pour savoir si je joue un rôle dans cette affaire-là. Il n’y a pas que la politique dans la vie et exercer sa profession peut être tout à fait passionnant pour quelqu’un comme moi. Je considère que c’est de ma responsabilité de transmettre efficacement. Je m’en occupe activement au Petit-Quevilly, en espérant à une équipe de continuité, mais ce sont les électeurs qui décideront. Quelle que soit la décision personnelle que je prendrai, je jouerai un rôle actif dans la réflexion sur le projet parce que j’ai l’expérience de ces territoires, je m’implique dans son fonctionnement intercommunal depuis plus de 15 ans et j’espère apporter des éléments dans ce débat collectif. J’espère que ce débat aura lieu, parce que les campagnes municipales ne sont pas idéales pour porter un projet à l’échelle des 71 communes. Il faut que nos habitants mesurent qu’en élisant leurs maires, ils éliront surtout quelqu’un qui participera au projet collectif des 71 communes. Ce qui n’est pas facile à expliquer dans le dispositif électoral actuel, puisque le conseil de la Métropole désigne ensuite le président. Je plaide pour une démocratie plus directe car l’exécutif de la Métropole c’est 840 millions d’euros de budget, 2 000 agents, un grand nombre de compétences décisives pour l’avenir du territoire et les électeurs vont surtout se positionner commune par commune. Donc il y a un problème démocratique qu’il faudra résoudre dans les années à venir.

Propos recueillis par Simon Louvet et Fabien Massin