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Interview. Plateau de rêve pour un opéra d’Haendel, au Théâtre de Caen

Les 3 et 5 février 2017, le Théâtre de Caen (Calvados) accueille une production exceptionnelle. Sur scène, la crème de la crème, dirigée par la cheffe d’orchestre, Emmanuelle Haïm.

Rendez-vous les 3 et 5 février 2017, au théâtre de Caen (Calvados), pour le Triomphe du Temps et de la Désillusion d'Haendel. (Photo : Frédéric Lovino - Opéra de Lille)
Rendez-vous les 3 et 5 février 2017, au Théâtre de Caen (Calvados), pour le Triomphe du Temps et de la Désillusion d'Haendel. (Photo : Frédéric Lovino – Opéra de Lille)

Vendredi 3 et dimanche 5 février 2017, le Théâtre de Caen (Calvados) est le cadre de deux représentations du Triomphe du Temps et de la Désillusion. Cet opéra méconnu de Georg Friedrich Händel bénéficie d’une distribution de grande qualité, avec notamment quatre chanteurs au sommet de leur art, qui jouissent tous d’une reconnaissance internationale, et le Polonais Krzysztof Warlokowski, l’un des metteurs en scène majeurs de notre temps. Le tout est mis en musique par l’ensemble du Concert d’Astrée et la brillante cheffe d’orchestre Emmanuelle Haïm. Interview.

« J’ai énormément appris en dirigeant le Concert d’Astrée »

Normandie-actu : Vous avez créé et vous dirigez le Concert d’Astrée. C’est comme votre famille ?
Emmanuelle Haïm : Je n’envisage pas la musique si elle n’est pas vécue comme un partage. Même si on dirige un orchestre qui n’est pas le sien, les liens finissent toujours par être très étroits. Surtout dans le baroque, où les musiciens font beaucoup de musique de chambre ensemble. J’ai moi-même beaucoup joué avec des instrumentistes qui sont dans le Concert d’Astrée. Après, il faut aussi bien manager tout cela, être sûre qu’il y ait assez d’emplois pour chacun. En dirigeant cette formation, j’ai énormément appris, notamment sur le statut de musicienne.

Votre travail a été couronné par trois Victoires de la Musique, c’est une belle satisfaction !
Oui, notamment la première que nous avions obtenu en 2003 et qui était une reconnaissance très importante vis-à-vis des professionnels et du grand public. Mais les grands concours internationaux sont tout aussi importants, de même que la confiance que nous accorde des grandes salles comme la Philharmonie de Berlin ou le Lincoln Center de New-York.

Malgré votre succès, vous êtes loin d’atteindre la renommée des grandes stars de la pop ou du rock. C’est injuste ?
Non, pas du tout. Moi-même, selon les moments, j’apprécie aussi les musiques pop ou rock ! (Rires) Nous jouons un répertoire qui est moins répandu, tout simplement, mais qui ne demande qu’à l’être. Je me bats pour le défendre et affirmer qu’il n’est pas réservé qu’à une élite.

La recherche de la beauté à l’état pur

Vous êtes une femme dans une profession dominée par les hommes. Vous vous sentez investie d’une mission ?
On me pose toujours cette question ! (Rires) Et je me la suis moi-même beaucoup posée au début de ma carrière. Aujourd’hui, avec la maturité, je ne vois pas pourquoi cela devrait être plus difficile pour une femme de diriger un orchestre. Il n’y a aucune raison objective, en dehors du fait que les gens imaginent plus naturellement un homme dans une position d’autorité. Pourquoi quand on a affaire un chirurgien ou un pilote d’avion, tout le monde est rassuré ? Ils se disent qu’une femme va forcément se crasher ? Donc oui, je me sens parfois investie d’une mission pour aider les petites filles de demain, tout comme les garçons d’ailleurs. Les femmes sont aujourd’hui parfaitement capables de faire cohabiter leur vie familiale et leur vie professionnelle.

Les 3 et 5 février 2017, vous présentez un opéra d’Haendel à Caen, un compositeur qui vous passionne…
Absolument. L’écriture d’Haendel a quelque chose de très naturelle, un peu comme dans la musique pop ou rock que nous évoquions plus tôt. On sent qu’il recherchait une émotion vraie et directe, la beauté à l’état pur. Son œuvre est aussi très théâtrale, Haendel aimait fouiller l’âme humaine, mais avec beaucoup de spontanéité. Il a écrit Le Triomphe du Temps et de la Désillusion alors qu’il n’avait que 22 ans, c’est hallucinant.

La bande-annonce du Triomphe du Temps et de la Désillusion :

Cliquez ici pour voir la vidéo embarqué

Vous aviez déjà enregistré cette œuvre en 2005. L’avez-vous abordée différemment cette fois ?
En 2005, je travaillais beaucoup avec Nathalie Dessay et je cherchais un rôle adapté à sa tessiture. Celui de la Beauté, qui était à l’époque chanté par un castrat, était idéal pour une voix de soprano aussi légère que la sienne. C’est la raison pour laquelle j’avais choisi cette œuvre qui était totalement délaissée. Mais j’avais eu une réflexion très différente de celle que j’ai pu avoir avec un metteur en scène comme Krzysztof Warlikowski. Il s’est interrogé sur le sens à donner à ce livret aujourd’hui, ce qui m’oblige à l’aborder complètement différemment.

Un quatuor de chanteurs d’exception

Comment s’est déroulée votre collaboration avec Krzysztof Warlikowski ?
Très bien. C’est un artiste à fleur de peau, tout en sensibilité, en phase avec le monde contemporain. On a beaucoup cherché ensemble, nous avons étudié différentes pistes, et peu à peu son univers a pris forme.

Pour conclure, un mot sur votre plateau de chanteurs, qui est d’un niveau exceptionnel…
C’est vrai que nous avons la chance de profiter d’un superbe quatuor. Sara Mingardo est une contre-alto italienne avec qui je travaille depuis des années, qui a un sens très profond de la subtilité de son texte. Il y a aussi « l’OVNI », Franco Fagioli, qui a une tessiture inhabituelle de mezzo-soprano, avec des aiguës fabuleux ; il est vraiment d’une virtuosité étonnante, qui lui permet d’aborder des rôles que très peu d’hommes osent interpréter. Quant à Michael Spyres, c’est un colosse, tout jeune, qui chante tous les grands rôles rossiniens et mozartiens ; j’ai fait Mitridas avec lui, une œuvre avec des aiguës incroyables et des graves abyssaux, et il était phénoménal. Enfin, Ying Fang est une jeune soprano chinoise passée par le Young Artist Program du Metropolitan Opera de New-York. Elle a un timbre ravissant à la musicalité très naturelle. Elle est vraiment brillante. Ici, elle reprend le rôle de « votre » Normande, Sabine Devieilhe, qui était avec nous au festival d’Aix-en-Provence en juillet 2016, qui a eu un bébé entre-temps.

Infos pratiques :
Vendredi 3 février 2017, à 20h, et dimanche 5 février, à 17h,
au Théâtre de Caen, 135 boulevard Leclerc, à Caen (Calvados).
Tél : 02 31 30 48 00. Tarifs : 10 à 67 euros.