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Macron, Le Pen, avenir de Rouen et de la Normandie: Pierre ALBERTINI, l’ancien maire de ROUEN s’exprime

Celui qui s’était fait très discret mais qui demeure à Rouen et Normandie encore apprécié et respecté, a pris récemment la parole dans un entretien très remarqué donné à nos confères de Filfax. Pierre ALBERTINI donne son avis sur les sujets en cours, à commencer par la recomposition politique inédite dans laquelle nous sommes avec les élections présidentielles les plus importantes depuis plus de quarante ans…

L’ancien maire de Rouen s’exprime aussi sur les urgences normandes qui ne sont pas moindres:

l’atonie métropolitaine de Rouen, d’une part et les défis du retour à l’unité normande d’autre part, non sans avoir salué les bons débuts normands d’Hervé Morin…

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Ci-après, lire le texte de cet entretien:

Pierre Albertini : « C’est certainement la fin des deux grands

partis de gouvernement »

Son expression publique s’était faite extrêmement rare depuis sa défaite aux municipales en 2008. Pour Filfax, l’ancien

maire centriste de Rouen Pierre Albertini a accepté de livrer son opinion sur la politique nationale et locale.

Par Gilles Triolier

28 avril 2017

Si l’ancien maire centriste de Rouen de 2001 à 2008, Pierre Albertini, a quitté la scène politique depuis sa défaite aux municipales en 2008, face à

Valérie Fourneyron, il reste un observateur averti de la donne locale. Et même nationale puisqu’il a participé, « au niveau des idées », à la

campagne d’Alain Juppé pendant la primaire de la droite. Mais sa parole publique s’est extrêmement raréfiée. Sollicité par Filfax, il a accepté de

livrer sa vision. Sur les résultats du premier tour, Macron, la montée du Fn, la déconfiture de la droite, mais aussi sur la situation rouennaise, l’action

du maire actuel Yvon Robert, celles du président de la Métropole Frédéric Sanchez ou encore d’Hervé Morin, à la tête de la Région. Interview au

long cours.

Quels sont, à vos yeux, les principaux enseignements du premier tour ?

Le premier pour moi, c’est la France éclatée. On dit depuis assez longtemps que la société se craquèle. C’est évident sur le plan politique. Quatre candidats aux alentours de 20 % chacun, c’est une première. Ça ne s’est jamais produit sous cette forme. Au pire un trio, mais quatre forces d’importance politique globalement égale, jamais. Et cela traduit à mon avis un mal assez profond. Souvent l’on dit que les institutions de la 5ème République ne fonctionnent pas bien, je ne crois pas que ce soit tout à fait le cas, même si l’on peut les améliorer. En réalité les structures politiques, notamment les partis, qui devraient à la fois orienter le débat, structurer les comportements, forger de nouvelles candidatures, jouer un rôle de promotion politique et sociale, ne fonctionnent plus, à l’évidence. Elles se sont transformées en écuries dans lesquelles chacun rivalise pour se mettre en position avantageuse pour la prochaine élection, mais ce ne sont plus des organisations de masse. Le Parti socialiste est un parti d’élus, les Républicains est également un parti extrêmement minoritaire, avec une base très étroite. Quant au Parti communiste, il a perdu l’essentiel de sa puissance militante. En revanche, on voit apparaître des mouvements plus ou moins durables : En Marche, la France insoumise. Personne n’aurait parié sur ces deux-là il y a six mois. Ils ont failli se retrouver l’un contre l’autre au second tour, cela s’est joué à un cheveu.

Auparavant, il y a eu Podemos en Espagne, plus durable, Nuit Debout en France, beaucoup moins durable. En fait ce sont des mouvements qui se sont dispersés, on les retrouve chez Mélenchon, chez Hamon… Voilà pour le premier constat, cet espèce de foisonnement, d’éclatement.

Est-ce la fin des grands partis ?

Pour la 5ème République classique que l’on connaissait depuis cinquante ans, c’est certainement la fin des deux partis de gouvernement, PS et Républicains. Les Républicains entretiennent l’illusion qu’ils vont pouvoir gagner les élections législatives, mais c’est un discours de fuite en avant. Ils ont perdu lamentablement une présidentielle qui leur était destinée. En janvier François Fillon était présenté comme le vainqueur incontestable de la présidentielle, et ils cherchent à se rattraper. En réalité ils vont essayer de sauver une partie de leur groupe, mais il y aura des dégâts très importants. Je ne crois pas qu’ils seront majoritaires. Je ne suis pas sûr, non plus, que Macron lui même le sera. On peut se retrouver avec une France difficilement gouvernable. Ceci étant, les partis politiques au pouvoir depuis des décennies n’ont pas été d’une grande efficacité. Le discrédit de la politique vient du jugement très négatif que les Français portent sur eux. Il y a hiatus sur ce qu’on promet et ce qu’on fait. Sarkozy et Hollande ont été les deux illustrations les plus récentes de cet échec de la politique. Elle ne change plus le cours des choses, elle ne change plus la vie.

La décomposition est donc en marche. Y’aura-t-il recomposition ? C’est la grande question. Je ne crois pas que le PS va totalement disparaître, il faudra certainement qu’il clarifie sa position idéologique et politique. Les Républicains vont entrer dans une guerre fratricide, pénible à suivre. Les couteaux sont déjà tirés. Dans la génération des 40 – 50 ans, ils sont nombreux à vouloir devenir calife à la place du calife. Et Sarkozy est toujours à la manoeuvre, en poussant ses hommes, Baroin, Wauquiez. Ce qui est quand même assez étonnant pour quelqu’un qui s’est retiré de la vie politique…

Maintenant, est-ce que la recomposition se fera ? Je l’espère mais je n’en suis pas sûr. Pour cela, il faudrait un gouvernement de très large union, que Macron ne fasse pas ce que Chirac a fait en 2002 : élu avec 82 % des voix, il compose un gouvernement RPR. Le comble de la bêtise. Il faut qu’il fasse un gouvernement qui fasse bouger les lignes, exploser les clivages, parce que ceux-ci existent encore, mais ils traversent les partis. Il y a les européens, les anti-européens, les partisans de la mondialisation, les antimondialisations, les progressistes, les conservateurs, les gens partisans d’une laïcité tolérante, ceux qui la veulent très stricte, voire une guerre de religion. Cela fractionne tous les partis. Pourra-t-il le faire ? C’est une question importante. Il y a un accord électoral entre En marche et le Modem, mais il n’est pas en soi suffisant pour garantir l’apparition d’une force politique nouvelle qui irait, grosso modo, de la gauche modérée jusqu’au centre droit. Le vrai test sera les législatives. Parce que le second tour des présidentielles est joué.

« Ma crainte serait que Macron dispose d’une majorité faible »

Aucune crainte ?

Non, ma crainte serait que Macron dipose d’une majorité faible, 55 – 45 %. Mais je ne vois pas comment Marine Le Pen pourrait gagner la présidentielle aujourd’hui. Ce que je souhaite, c’est qu’il y ait un soutien fort de ceux qui sont hostiles au Front national. 60 – 40 % me paraît le minimum. C’est la condition de la recomposition. Si la victoire est acquise dans la douleur, les conditions politiques ne seront pas réunies. Or, il faut que Macron puisse attirer à lui – il l’a fait – quelques anciens ministres ou ténors du Parti socialiste, quelques-uns qui viennent du centre ou des Républicains. Mais il en faut beaucoup plus. J’ai entendu Bruno Le Maire dire qu’il ne renonçait pas à travailler positivement avec Macron. Ça ne veut pas dire nécessairement entrer dans le parti politique de Macron, mais essayer de faire un programme de gouvernement. Estrosi l’a fait, et vous avez vu comment il a été traité par ses troupes. C’est quand même aberrant. La politique est noble, mais elle ne doit pas conduire à pervertir les rapports humains.

Il faut saisir cette opportunité, sinon la prochaine fois ce sera à coup sûr un démagogue qui gagnera. Probablement Marine Le Pen, car son mouvement est plus structuré. Au contraire, celui de Mélenchon, qui compte beaucoup de jeunes, va connaître des pertes. A 18 – 20 ans, on évolue assez vite. C’est un peu la dernière chance. Il faut se redresser moralement, économiquement, même si cela demande du temps.

Un commentaire sur la première place de Marine Le Pen en Seine-Maritime et dans l’Eure à l’issue du premier tour…

Je suis effrayé. C’est invraisemblable que ce soit dans les lieux où il y a le moins d’immigrés que le Front national prospère avec le plus de vigueur, comme dans l’Eure ou le pays de Bray. Vous avez vu beaucoup d’immigrés dans le pays de Bray…. Cela se double d’un réflexe préoccupant : non seulement ces gens se disent que la vague migratoire va peut-être déferler sur nous, bien qu’on n’en ait pas vu la couleur et que l’on soit dans le fantasme, mais ils pensent aussi être abandonnés par l’Etat.

Que pensez-vous du cas Macron, de sa trajectoire de météore ?

J’ai eu beaucoup de défiance, déjà quand il était secrétaire général adjoint de l’Elysée. Même si c’est quand il était ministre que j’ai éprouvé le plus de doutes : il a bien essayé de faire des choses, mais en restant au milieu du gué. La loi dite Macron, la plus discutée à l’Assemblée nationale – 400 heures de discussion ! -, qu’en reste-t-il ? Des bus sur les routes qui ont du mal à trouver leur équilibre économique… Le saupoudrage ne fait pas une politique forte. Donc j’avais des préventions. Je pensais qu’il était d’abord un homme de communication, avant d’être un homme de fond, de dossiers. Finalement, la première inflexion dans mon jugement fut son départ du gouvernement. Je me suis dit : voilà au moins quelqu’un qui ne va pas boire la coupe jusqu’à la lie, qui le courage de dire j’arrête, je sors du système Hollande puisque je ne peux pas agir suffisamment. J’aurais voulu que Fillon fasse la même chose avec Sarkozy, malheureusement lui a accepté de boire cette coupe jusqu’à la lie pendant cinq ans. Valls aurait dû, lui aussi, le faire plus tôt.

Le programme de Macron me paraît encore flou sur certains points. Il y a quand même des priorités importantes, notamment sur l’école. Sur le plan économique, la durée du travail, la retraite, le pouvoir d’achat, il reste entre deux eaux. Cela gagnerait à être précisé. Sur le régalien, n’ayant pas encore une expérience considérable, il a besoin d’être conforté. Mais quand j’ai fait part à Bayrou, que j’ai eu au téléphone, de ces préventions, il m’a dit « moi aussi, je pensais la même chose. Maintenant que je le connais, l’homme est certainement plus sérieux ». Je demande à voir, comme Saint-Thomas.

Quel est votre sentiment sur l’échec de François Fillon ? Aura-t-il des conséquences sur la droite locale ?

Oh oui. A l’image des Républicains au plan national qui vont avoir beaucoup de mal à maintenir leur unité, les candidats locaux aux législatives ne sont peut-être pas plombés, mais ils vont courir le 100 mètres avec des chaussures de scaphandrier. La dynamique qu’ils espéraient ne s’est pas produite. Fillon a consolidé un socle de 20 %, très loin de ce que représente la droite et l’UDI dans le pays. Je crois qu’il aurait dû se retirer dès février. En plus des affaires, il portait quand même des aspirations qui ne paraissaient pas justes aux yeux de certains : la santé, les effectifs de la fonction publique, la protection sociale, la durée du travail laissée à la libre discussion alors que c’est un rapport de force dans les grandes entreprises… On était à 35 h et on passerait à 48 h, mais combien serait-on payé ? Il n’a jamais été capable de le dire. Et puis il est allé chercher ses soutiens dans des mouvements d’inspiration intégriste, Sens commun par exemple. Il a eu la bêtise de dire qu’il pourrait intégrer ces gens dans son gouvernement, c’est le contraire de la laïcité. Qu’il soit chrétien, je le respecte, je le suis aussi, mais on ne doit pas juger quelqu’un en fonction de ses opinions religieuses. Une erreur stratégique.

« Valérie Fourneyron En marche ? Possible »

A Rouen, peut-on imaginer une recomposition politique à l’aune de ces résultats, c’est-à-dire une droite fracturée et un PS quasi enterré ?

Cela dépendra de la qualité des investitures données par Macron et le Modem. D’après ce que j’ai pu comprendre, le Modem devrait avoir une circonscription réservée par département. En marche a reçu presque 15 000 candidatures. Il faut à la fois des gens de la société civile, donc renouvelés, mais aussi des personnes expérimentées. Etre bombardé candidat à 35 – 40 ans quand on n’a jamais fait de campagne, même si l’étiquette En marche est porteuse, est compliqué. S’il donne des investitures judicieuses, oui, il y aura une recomposition politique. Il y aura forcément des conséquences dans les 1ère (Rouen, Mont-Saint-Aignan) et 2ème circonscriptions (Bois-Guillaume, Bihorel). En revanche, dans les bastions socialistes, Sotteville, Petit-Quevily, Grand-Quevilly, je ne vois comment on pourra leur contester le premier rôle.

Concrètement, à Rouen, la députée PS Valérie Founeyron pourrait représenter En marche ?

That’s the question. C’est tout à fait possible.

En 2020, la conquête par la droite de la mairie de Rouen a-t-elle toujours un sens ? 

Non, aucun sens. En 2001, j’ai été élu par un concours de circonstances, il faut bien le dire. Je n’avais aucune chance. J’ai fait 35,5 % au premier tour et Yvon Robert, 35 %, mais je n’avais quasiment pas de réserves. Or, il fallait passer de 35 à plus de 50 %. Mais j’ai bénéficié de la division entre le PS et les Verts. C’est tout à fait clair que l’électorat vert était divisé. Ça a suffi à me faire gagner. Mais, depuis cette époque, je suis convaincu qu’une liste de droite à Rouen est vouée à l’échec. Il faut une liste de large ouverture. Une liste inspirée par En marche, le centre grosso modo car Macron est au fond un centriste de gauche, a peut-être une chance. La sociologie de Rouen, aujourd’hui de centre gauche, est extrêmement différente d’il y a trente ans.

A Rouen toujours, comment jugez-vous l’action d’Yvon Robert ?

Je me suis abstenu de porter un jugement. Ayant fait le choix en 2008 de ne pas rester conseiller municipal, j’ai simplement regardé, observé. En 2014, j’ai tenté, mais je n’ai pas réussi, de faire une liste d’union derrière moi en disant « je me présente et puis je disparais au bout d’un an ou deux ». Cette idée n’a pas été avérée, et mon expression publique a été quasi-inexistante.

Mais les années passant…

La chose qui me paraît la plus préoccupante, c’est l’absence de marges de manoeuvre du maire de Rouen. Financière et politique. Financièrement, la situation par rapport au début des années 2000 ne s’est pas du tout améliorée. Le transfert d’une partie du personnel et des charges à la Métropole ne s’est pas traduit par une amélioration des finances de la Ville. Les gens croient qu’en transférant certains équipements, les musées ou une grande partie du personnel, ce sont des charges en moins pour la mairie. En réalité pas du tout. Quand le transfert se produit, on tient compte de ce que la Ville dépensait, et on le déduit du concours qu’elle reçoit de l’agglomération. Donc ça n’a pas amélioré la situation. On m’a raconté que l’an dernier, dans un rapport qui est difficile entre Frédéric Sanchez et Yvon Robert, ce dernier était quasiment aux abois en raison de l’impossibilité de boucler son budget 2016 pour plusieurs millions d’euros. Et il a dû négocier des concours de l’agglomération ou des transferts de compétence ou de personnel, pour essayer d’alléger au moins provisoirement la contrainte. C’est cela qui est préoccupant : le maire de la ville-centre est devenu un maire de proximité. Il lui reste, en toute autonomie, les écoles, les crèches, le sport de proximité, pas de haut niveau, la voirie va lui échapper… Les grandes décisions d’investissement sont aujourd’hui totalement prises par la Métropole. C’est quand même une difficulté à mes yeux. La seule façon de la contourner serait que le maire de Rouen préside la Métropole, ce qui n’a pas été possible. C’est un vrai problème de locomotive pour l’agglomération que l’on n’a jamais réussi à résoudre.

« Si j’avais su que ces emprunts se révèleraient toxiques, je ne les aurais pas souscrits »

Sur la situation financière de la Ville de Rouen, quelle est votre part de responsabilité ? Vous vous en sentez comptable ? 

On m’a fait un procès sur les emprunts toxiques. D’abord c’est Yvon Robert qui a initié le processus en 1995, ce qui était légitime. Moi j’en ai ensuite bénéficié assez largement, le mouvement a suivi jusqu’en 2006. Et on en a profité, avec des taux d’intérêt avantageux. Puis est arrivé un moment où les paramètres retenus dans ces emprunts se sont retournés et là, la facture a été aggravée. Est-ce que le poids de ces emprunts toxiques a pénalisé la Ville ? Oui, mais légèrement. En fait, ils ont été rapidement renégociés, sauf quelques-uns où la discussion a été plus difficile, avec Dexia et Royal Bank of Scotland. Mais, quand j’ai quitté la ville, sa dette représentait exactement ses recettes de fonctionnement. Elle était à un niveau admissible. Il a fallu, en effet, purger ces emprunts toxiques, c’est vrai, mais Yvon Robert a fait intervenir un cabinet spécialisé. Il se trouve que j’ai eu le rapport et que le dommage pour la Ville a été assez faible. En revanche, la Ville a connu une flambée après 2008, c’est-à-dire que de nouveaux emprunts ont été conclus et les taux d’intérêt étant moins favorables, effectivement Yvon Robert s’est retrouvé dans une situation qui ne m’était plus imputable.

Je prends ma part de responsabilité. Si j’avais su que ces emprunts se révèleraient toxiques, je ne les aurais pas souscrits. Pendant les dix ans où ils ont fonctionné, personne n’a rien dit, ça a été un bénéfice pour les collectivités. Un moment ça a dérapé. Je ne cherche pas à dire que je ne suis pas responsable. Mais c’est tout à fait modeste dans la situation actuelle de la Ville.

Et quid du partenariat public privé (PPP) avec Vinci que vous avez acté et qui, entend-on parfois, pèserait sur les finances de la ville pour une longue période ?

Non. Il y a eu des rapports de la chambre régionale des comptes sur le PPP, qui a permis de rénover largement l’éclairage public et les feux tricolores, et des ajustements étaient prévus dès l’origine. On l’a signé parce qu’en matière d’éclairage public, les données techniques allaient évoluer, donc il était prévu qu’il y ait une clause de remise sur le métier tous les deux à trois ans de ce dispositif. Alors il y a eu des ajustements, Yvon Robert les a faits de la façon dont je les aurais faits. Mais le PPP a permis de réaliser en deux ans ce que la Ville aurait fait en quinze.

Je reviens sur la situation financière de Rouen et ses 24 millions d’euros d’investissement à peine en 2017. Comment l’expliquez-vous ?

Indépendamment d’Yvon Robert et de moi-même, la Ville paye le prix, depuis trente ou quarante ans, d’une déperdition démographique importante malgré le petit redressement récent : 112 000 aujourd’hui contre près de 130 000 à la fin des années 60. Avec, en plus, une déperdition économique car un certain nombre d’activités ont fui la ville. Et les lois sur la décentralisation ont transféré le produit de ces taxes vers les agglomérations. La Ville ne reçoit en retour qu’une très maigre consolation. Troisièmement, les charges de centralité sont très fortes. C’est une ville difficile, enserrée entre des collines, avec une traversée de fleuve, une tradition culturelle vivace qu’il faut entretenir. Et qui porte sur 110 000 habitants. Je ne vois pas le redressement de la situation dans les dix ans qui viennent.

Même si le maire, en 2020, parvient à prendre la tête de la Métropole ?

Sauf ce facteur, bien sûr. Il faudrait encore que le maire qui présiderait la Métropole à ce moment-là soit dans une situation qui lui permette de faire comprendre aux communes périphériques qu’elles ont intérêt à consolider d’abord la ville-centre avant leurs propres communes. Or, l’inverse a été fait. Dans le système Fabius, il est tout à fait clair que l’on a tiré vers la périphérie, notamment la rive sud. Je ne suis pas contre ces communes, elles doivent se développer, mais la priorité aurait dû être la ville-centre car c’est le lieu de rassemblement de l’agglomération. On a inversé les facteurs. Même la configuration du métro a avantagé la rive sud et totalement désavantagé les plateaux nord. Pour les commerçants de Rouen, qui faudrait-il faire descendre vers le centre ? Mont-Saint-Aignan, Bois-Guillaume, Bihorel… C’est là que le pouvoir d’achat se situe. Ces stratégies territoriales ont existé aussi dans l’autre sens : longtemps Bois-Guillaume a refusé de faire du logement social parce que c’était plus avantageux électoralement pour eux. Lecanuet le disait : les gens préfèrent être des roitelets dans leur petit royaume, plutôt que de concourir à une oeuvre globale. Mais tout n’est pas à jeter, il y a eu de très bonnes décisions : la rénovation des quais, le palais des sports, les docks, la pépinière d’entreprises médicales près du CHU…

Venez-en à la Métropole. Comment jugez-vous sa pertinence et la façon dont elle est conduite par Frédéric Sanchez ?

Une Métropole s’imposait. Compte tenu du morcellement, de la petite taille de la ville dans l’agglo, et du grand nombre de villes de taille moyenne, la situation est complexe. Il faut composer avec toutes ces villes, qui pèsent. Trouver l’intérêt général est compliqué. Le fonctionnement de la Métropole en tant que telle n’est pas contestable. Maintenant, c’est la définition des priorités qui, au moins dans un premier temps, ce qui a été corrigé depuis, a surtout fonctionné à l’avantage de la rive sud et des petites communes. Désormais on est vraiment dans une tentative de chercher un intérêt général et de définir des chantiers prioritaires : le palais des sports, la plaine de la Ronce, bien que ça démarre lentement, l’urbanisation de la rive gauche avec le quartier Flaubert, qui démarre encore plus lentement…

Quant à Frédéric Sanchez, je m’entends bien avec lui, même si c’était davantage le cas avec François Zimeray. Il est extrêmement directif et secret. Je connais certains de ses directeurs qui disent qu’avec lui c’est dur. Il veut être le patron, il est à la limite à la fois l’élu qui préside et le directeur des services qui dirige. Or, l’élu donne les directives, contrôle, sanctionne si besoin, mais ne dirige pas du matin au soir. Si vous le faites, vous amenez tout à vous, le moindre détail, la machine finit par se bloquer car vous découragez les gens. Ils ne prennent plus d’initiatives quand le centre de décision est unique. Il faudrait que Frédéric Sanchez en tire les conséquences, mais je ne vois pas qui dans son environnement pourrait le conduire à modifier sa ligne. Il y aurait peut-être une piste: qu’il se présente à la mairie de Rouen et qu’il voit vraiment qu’il faut tenir les deux leviers. Aujourd’hui, il n’y a pas de confiance entre la Métropole et la Ville, et le rapport est très défavorable à cette dernière. La seule façon est de mettre les dossiers sur la table et se demander ce que l’on peut faire tous ensemble.

« Hervé Morin ? Le dur est devant lui »

Que pensez-vous du rapprochement des clubs de foot de Petit-Quevilly et Rouen ?

C’est un échec en termes d’image. Quand j’entends les commentateurs parler de Quevilly-Rouen, QRM, ça ne colle pas. Qu’on fasse la fusion, peut-être, mais il fallait que Quevilly renonce à son appellation. C’était le FCR, les Diables rouges.

A l’aune du rapport de forces actuel, la Métropole restera-t-elle socialiste en 2020 ?

Oui, c’est possible. Il existe une différence entre la situation nationale et l’ancrage local. Les motivations des électeurs sont différentes. Je ne vois pas une inversion à moyen terme.

Votre jugement sur l’action d’Hervé Morin à la tête de la Région Normandie ?

Je ne suis pas avec acuité les dossiers régionaux, mais je connais bien Hervé Morin. Je dirais que c’est plutôt encourageant. Il a notamment réussi à ne pas donner le sentiment aux trois villes importantes qu’elles perdaient à la réunification. Il a réussi à faire un partage, tout en établissant le chef-lieu de la collectivité à Caen.

A Rouen, on entend pourtant des critiques sur une préférence qui serait donnée à Caen…

Mais qu’auraient été les plaintes des Caennais s’il avait tout mis à Rouen ? Il faut du temps pour cela. La méfiance était surtout bas normande. Eux se méfiaient surtout de Rouen en raison de sa taille. Là-dessus, Hervé Morin a correctement manoeuvré. Maintenant les grandes décisions sont devant lui : la réindustrialisation, le rapport avec Paris, l’axe Seine, la Ligne nouvelle Paris-Normandie… Or, il ne se passe rien à ce niveau pour l’instant. Sur le train, ça n’a pas avancé. Toujours des retards, des trains inconfortables. En parallèle, le Grand Paris avance. Nous, comment s’accroche-t-on à ce wagon-là ? Sur l’avion, je suis curieux de voir ce qu’ils vont faire de l’aéroport de Rouen à Boos. J’avais échoué. La Région a une velléité, on va voir ce que ça va donner. Le dur est devant lui.

 

Celui qui s’était fait très discret mais qui demeure à Rouen et Normandie encore apprécié et respecté, a pris récemment la parole dans un entretien très remarqué donné à nos confères de Filfax. Pierre ALBERTINI donne son avis sur les sujets en cours, à commencer par la recomposition politique inédite dans laquelle nous sommes avec les élections présidentielles les plus importantes depuis plus de quarante ans…

L’ancien maire de Rouen s’exprime aussi sur les urgences normandes qui ne sont pas moindres:

l’atonie métropolitaine de Rouen, d’une part et les défis du retour à l’unité normande d’autre part, non sans avoir salué les bons débuts normands d’Hervé Morin…

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Ci-après, lire le texte de cet entretien:

Pierre Albertini : « C’est certainement la fin des deux grands

partis de gouvernement »

Son expression publique s’était faite extrêmement rare depuis sa défaite aux municipales en 2008. Pour Filfax, l’ancien

maire centriste de Rouen Pierre Albertini a accepté de livrer son opinion sur la politique nationale et locale.

Par Gilles Triolier

28 avril 2017

Si l’ancien maire centriste de Rouen de 2001 à 2008, Pierre Albertini, a quitté la scène politique depuis sa défaite aux municipales en 2008, face à

Valérie Fourneyron, il reste un observateur averti de la donne locale. Et même nationale puisqu’il a participé, « au niveau des idées », à la

campagne d’Alain Juppé pendant la primaire de la droite. Mais sa parole publique s’est extrêmement raréfiée. Sollicité par Filfax, il a accepté de

livrer sa vision. Sur les résultats du premier tour, Macron, la montée du Fn, la déconfiture de la droite, mais aussi sur la situation rouennaise, l’action

du maire actuel Yvon Robert, celles du président de la Métropole Frédéric Sanchez ou encore d’Hervé Morin, à la tête de la Région. Interview au

long cours.

Quels sont, à vos yeux, les principaux enseignements du premier tour ?

Le premier pour moi, c’est la France éclatée. On dit depuis assez longtemps que la société se craquèle. C’est évident sur le plan politique. Quatre candidats aux alentours de 20 % chacun, c’est une première. Ça ne s’est jamais produit sous cette forme. Au pire un trio, mais quatre forces d’importance politique globalement égale, jamais. Et cela traduit à mon avis un mal assez profond. Souvent l’on dit que les institutions de la 5ème République ne fonctionnent pas bien, je ne crois pas que ce soit tout à fait le cas, même si l’on peut les améliorer. En réalité les structures politiques, notamment les partis, qui devraient à la fois orienter le débat, structurer les comportements, forger de nouvelles candidatures, jouer un rôle de promotion politique et sociale, ne fonctionnent plus, à l’évidence. Elles se sont transformées en écuries dans lesquelles chacun rivalise pour se mettre en position avantageuse pour la prochaine élection, mais ce ne sont plus des organisations de masse. Le Parti socialiste est un parti d’élus, les Républicains est également un parti extrêmement minoritaire, avec une base très étroite. Quant au Parti communiste, il a perdu l’essentiel de sa puissance militante. En revanche, on voit apparaître des mouvements plus ou moins durables : En Marche, la France insoumise. Personne n’aurait parié sur ces deux-là il y a six mois. Ils ont failli se retrouver l’un contre l’autre au second tour, cela s’est joué à un cheveu.

Auparavant, il y a eu Podemos en Espagne, plus durable, Nuit Debout en France, beaucoup moins durable. En fait ce sont des mouvements qui se sont dispersés, on les retrouve chez Mélenchon, chez Hamon… Voilà pour le premier constat, cet espèce de foisonnement, d’éclatement.

Est-ce la fin des grands partis ?

Pour la 5ème République classique que l’on connaissait depuis cinquante ans, c’est certainement la fin des deux partis de gouvernement, PS et Républicains. Les Républicains entretiennent l’illusion qu’ils vont pouvoir gagner les élections législatives, mais c’est un discours de fuite en avant. Ils ont perdu lamentablement une présidentielle qui leur était destinée. En janvier François Fillon était présenté comme le vainqueur incontestable de la présidentielle, et ils cherchent à se rattraper. En réalité ils vont essayer de sauver une partie de leur groupe, mais il y aura des dégâts très importants. Je ne crois pas qu’ils seront majoritaires. Je ne suis pas sûr, non plus, que Macron lui même le sera. On peut se retrouver avec une France difficilement gouvernable. Ceci étant, les partis politiques au pouvoir depuis des décennies n’ont pas été d’une grande efficacité. Le discrédit de la politique vient du jugement très négatif que les Français portent sur eux. Il y a hiatus sur ce qu’on promet et ce qu’on fait. Sarkozy et Hollande ont été les deux illustrations les plus récentes de cet échec de la politique. Elle ne change plus le cours des choses, elle ne change plus la vie.

La décomposition est donc en marche. Y’aura-t-il recomposition ? C’est la grande question. Je ne crois pas que le PS va totalement disparaître, il faudra certainement qu’il clarifie sa position idéologique et politique. Les Républicains vont entrer dans une guerre fratricide, pénible à suivre. Les couteaux sont déjà tirés. Dans la génération des 40 – 50 ans, ils sont nombreux à vouloir devenir calife à la place du calife. Et Sarkozy est toujours à la manoeuvre, en poussant ses hommes, Baroin, Wauquiez. Ce qui est quand même assez étonnant pour quelqu’un qui s’est retiré de la vie politique…

Maintenant, est-ce que la recomposition se fera ? Je l’espère mais je n’en suis pas sûr. Pour cela, il faudrait un gouvernement de très large union, que Macron ne fasse pas ce que Chirac a fait en 2002 : élu avec 82 % des voix, il compose un gouvernement RPR. Le comble de la bêtise. Il faut qu’il fasse un gouvernement qui fasse bouger les lignes, exploser les clivages, parce que ceux-ci existent encore, mais ils traversent les partis. Il y a les européens, les anti-européens, les partisans de la mondialisation, les antimondialisations, les progressistes, les conservateurs, les gens partisans d’une laïcité tolérante, ceux qui la veulent très stricte, voire une guerre de religion. Cela fractionne tous les partis. Pourra-t-il le faire ? C’est une question importante. Il y a un accord électoral entre En marche et le Modem, mais il n’est pas en soi suffisant pour garantir l’apparition d’une force politique nouvelle qui irait, grosso modo, de la gauche modérée jusqu’au centre droit. Le vrai test sera les législatives. Parce que le second tour des présidentielles est joué.

« Ma crainte serait que Macron dispose d’une majorité faible »

Aucune crainte ?

Non, ma crainte serait que Macron dipose d’une majorité faible, 55 – 45 %. Mais je ne vois pas comment Marine Le Pen pourrait gagner la présidentielle aujourd’hui. Ce que je souhaite, c’est qu’il y ait un soutien fort de ceux qui sont hostiles au Front national. 60 – 40 % me paraît le minimum. C’est la condition de la recomposition. Si la victoire est acquise dans la douleur, les conditions politiques ne seront pas réunies. Or, il faut que Macron puisse attirer à lui – il l’a fait – quelques anciens ministres ou ténors du Parti socialiste, quelques-uns qui viennent du centre ou des Républicains. Mais il en faut beaucoup plus. J’ai entendu Bruno Le Maire dire qu’il ne renonçait pas à travailler positivement avec Macron. Ça ne veut pas dire nécessairement entrer dans le parti politique de Macron, mais essayer de faire un programme de gouvernement. Estrosi l’a fait, et vous avez vu comment il a été traité par ses troupes. C’est quand même aberrant. La politique est noble, mais elle ne doit pas conduire à pervertir les rapports humains.

Il faut saisir cette opportunité, sinon la prochaine fois ce sera à coup sûr un démagogue qui gagnera. Probablement Marine Le Pen, car son mouvement est plus structuré. Au contraire, celui de Mélenchon, qui compte beaucoup de jeunes, va connaître des pertes. A 18 – 20 ans, on évolue assez vite. C’est un peu la dernière chance. Il faut se redresser moralement, économiquement, même si cela demande du temps.

Un commentaire sur la première place de Marine Le Pen en Seine-Maritime et dans l’Eure à l’issue du premier tour…

Je suis effrayé. C’est invraisemblable que ce soit dans les lieux où il y a le moins d’immigrés que le Front national prospère avec le plus de vigueur, comme dans l’Eure ou le pays de Bray. Vous avez vu beaucoup d’immigrés dans le pays de Bray…. Cela se double d’un réflexe préoccupant : non seulement ces gens se disent que la vague migratoire va peut-être déferler sur nous, bien qu’on n’en ait pas vu la couleur et que l’on soit dans le fantasme, mais ils pensent aussi être abandonnés par l’Etat.

Que pensez-vous du cas Macron, de sa trajectoire de météore ?

J’ai eu beaucoup de défiance, déjà quand il était secrétaire général adjoint de l’Elysée. Même si c’est quand il était ministre que j’ai éprouvé le plus de doutes : il a bien essayé de faire des choses, mais en restant au milieu du gué. La loi dite Macron, la plus discutée à l’Assemblée nationale – 400 heures de discussion ! -, qu’en reste-t-il ? Des bus sur les routes qui ont du mal à trouver leur équilibre économique… Le saupoudrage ne fait pas une politique forte. Donc j’avais des préventions. Je pensais qu’il était d’abord un homme de communication, avant d’être un homme de fond, de dossiers. Finalement, la première inflexion dans mon jugement fut son départ du gouvernement. Je me suis dit : voilà au moins quelqu’un qui ne va pas boire la coupe jusqu’à la lie, qui le courage de dire j’arrête, je sors du système Hollande puisque je ne peux pas agir suffisamment. J’aurais voulu que Fillon fasse la même chose avec Sarkozy, malheureusement lui a accepté de boire cette coupe jusqu’à la lie pendant cinq ans. Valls aurait dû, lui aussi, le faire plus tôt.

Le programme de Macron me paraît encore flou sur certains points. Il y a quand même des priorités importantes, notamment sur l’école. Sur le plan économique, la durée du travail, la retraite, le pouvoir d’achat, il reste entre deux eaux. Cela gagnerait à être précisé. Sur le régalien, n’ayant pas encore une expérience considérable, il a besoin d’être conforté. Mais quand j’ai fait part à Bayrou, que j’ai eu au téléphone, de ces préventions, il m’a dit « moi aussi, je pensais la même chose. Maintenant que je le connais, l’homme est certainement plus sérieux ». Je demande à voir, comme Saint-Thomas.

Quel est votre sentiment sur l’échec de François Fillon ? Aura-t-il des conséquences sur la droite locale ?

Oh oui. A l’image des Républicains au plan national qui vont avoir beaucoup de mal à maintenir leur unité, les candidats locaux aux législatives ne sont peut-être pas plombés, mais ils vont courir le 100 mètres avec des chaussures de scaphandrier. La dynamique qu’ils espéraient ne s’est pas produite. Fillon a consolidé un socle de 20 %, très loin de ce que représente la droite et l’UDI dans le pays. Je crois qu’il aurait dû se retirer dès février. En plus des affaires, il portait quand même des aspirations qui ne paraissaient pas justes aux yeux de certains : la santé, les effectifs de la fonction publique, la protection sociale, la durée du travail laissée à la libre discussion alors que c’est un rapport de force dans les grandes entreprises… On était à 35 h et on passerait à 48 h, mais combien serait-on payé ? Il n’a jamais été capable de le dire. Et puis il est allé chercher ses soutiens dans des mouvements d’inspiration intégriste, Sens commun par exemple. Il a eu la bêtise de dire qu’il pourrait intégrer ces gens dans son gouvernement, c’est le contraire de la laïcité. Qu’il soit chrétien, je le respecte, je le suis aussi, mais on ne doit pas juger quelqu’un en fonction de ses opinions religieuses. Une erreur stratégique.

« Valérie Fourneyron En marche ? Possible »

A Rouen, peut-on imaginer une recomposition politique à l’aune de ces résultats, c’est-à-dire une droite fracturée et un PS quasi enterré ?

Cela dépendra de la qualité des investitures données par Macron et le Modem. D’après ce que j’ai pu comprendre, le Modem devrait avoir une circonscription réservée par département. En marche a reçu presque 15 000 candidatures. Il faut à la fois des gens de la société civile, donc renouvelés, mais aussi des personnes expérimentées. Etre bombardé candidat à 35 – 40 ans quand on n’a jamais fait de campagne, même si l’étiquette En marche est porteuse, est compliqué. S’il donne des investitures judicieuses, oui, il y aura une recomposition politique. Il y aura forcément des conséquences dans les 1ère (Rouen, Mont-Saint-Aignan) et 2ème circonscriptions (Bois-Guillaume, Bihorel). En revanche, dans les bastions socialistes, Sotteville, Petit-Quevily, Grand-Quevilly, je ne vois comment on pourra leur contester le premier rôle.

Concrètement, à Rouen, la députée PS Valérie Founeyron pourrait représenter En marche ?

That’s the question. C’est tout à fait possible.

En 2020, la conquête par la droite de la mairie de Rouen a-t-elle toujours un sens ? 

Non, aucun sens. En 2001, j’ai été élu par un concours de circonstances, il faut bien le dire. Je n’avais aucune chance. J’ai fait 35,5 % au premier tour et Yvon Robert, 35 %, mais je n’avais quasiment pas de réserves. Or, il fallait passer de 35 à plus de 50 %. Mais j’ai bénéficié de la division entre le PS et les Verts. C’est tout à fait clair que l’électorat vert était divisé. Ça a suffi à me faire gagner. Mais, depuis cette époque, je suis convaincu qu’une liste de droite à Rouen est vouée à l’échec. Il faut une liste de large ouverture. Une liste inspirée par En marche, le centre grosso modo car Macron est au fond un centriste de gauche, a peut-être une chance. La sociologie de Rouen, aujourd’hui de centre gauche, est extrêmement différente d’il y a trente ans.

A Rouen toujours, comment jugez-vous l’action d’Yvon Robert ?

Je me suis abstenu de porter un jugement. Ayant fait le choix en 2008 de ne pas rester conseiller municipal, j’ai simplement regardé, observé. En 2014, j’ai tenté, mais je n’ai pas réussi, de faire une liste d’union derrière moi en disant « je me présente et puis je disparais au bout d’un an ou deux ». Cette idée n’a pas été avérée, et mon expression publique a été quasi-inexistante.

Mais les années passant…

La chose qui me paraît la plus préoccupante, c’est l’absence de marges de manoeuvre du maire de Rouen. Financière et politique. Financièrement, la situation par rapport au début des années 2000 ne s’est pas du tout améliorée. Le transfert d’une partie du personnel et des charges à la Métropole ne s’est pas traduit par une amélioration des finances de la Ville. Les gens croient qu’en transférant certains équipements, les musées ou une grande partie du personnel, ce sont des charges en moins pour la mairie. En réalité pas du tout. Quand le transfert se produit, on tient compte de ce que la Ville dépensait, et on le déduit du concours qu’elle reçoit de l’agglomération. Donc ça n’a pas amélioré la situation. On m’a raconté que l’an dernier, dans un rapport qui est difficile entre Frédéric Sanchez et Yvon Robert, ce dernier était quasiment aux abois en raison de l’impossibilité de boucler son budget 2016 pour plusieurs millions d’euros. Et il a dû négocier des concours de l’agglomération ou des transferts de compétence ou de personnel, pour essayer d’alléger au moins provisoirement la contrainte. C’est cela qui est préoccupant : le maire de la ville-centre est devenu un maire de proximité. Il lui reste, en toute autonomie, les écoles, les crèches, le sport de proximité, pas de haut niveau, la voirie va lui échapper… Les grandes décisions d’investissement sont aujourd’hui totalement prises par la Métropole. C’est quand même une difficulté à mes yeux. La seule façon de la contourner serait que le maire de Rouen préside la Métropole, ce qui n’a pas été possible. C’est un vrai problème de locomotive pour l’agglomération que l’on n’a jamais réussi à résoudre.

« Si j’avais su que ces emprunts se révèleraient toxiques, je ne les aurais pas souscrits »

Sur la situation financière de la Ville de Rouen, quelle est votre part de responsabilité ? Vous vous en sentez comptable ? 

On m’a fait un procès sur les emprunts toxiques. D’abord c’est Yvon Robert qui a initié le processus en 1995, ce qui était légitime. Moi j’en ai ensuite bénéficié assez largement, le mouvement a suivi jusqu’en 2006. Et on en a profité, avec des taux d’intérêt avantageux. Puis est arrivé un moment où les paramètres retenus dans ces emprunts se sont retournés et là, la facture a été aggravée. Est-ce que le poids de ces emprunts toxiques a pénalisé la Ville ? Oui, mais légèrement. En fait, ils ont été rapidement renégociés, sauf quelques-uns où la discussion a été plus difficile, avec Dexia et Royal Bank of Scotland. Mais, quand j’ai quitté la ville, sa dette représentait exactement ses recettes de fonctionnement. Elle était à un niveau admissible. Il a fallu, en effet, purger ces emprunts toxiques, c’est vrai, mais Yvon Robert a fait intervenir un cabinet spécialisé. Il se trouve que j’ai eu le rapport et que le dommage pour la Ville a été assez faible. En revanche, la Ville a connu une flambée après 2008, c’est-à-dire que de nouveaux emprunts ont été conclus et les taux d’intérêt étant moins favorables, effectivement Yvon Robert s’est retrouvé dans une situation qui ne m’était plus imputable.

Je prends ma part de responsabilité. Si j’avais su que ces emprunts se révèleraient toxiques, je ne les aurais pas souscrits. Pendant les dix ans où ils ont fonctionné, personne n’a rien dit, ça a été un bénéfice pour les collectivités. Un moment ça a dérapé. Je ne cherche pas à dire que je ne suis pas responsable. Mais c’est tout à fait modeste dans la situation actuelle de la Ville.

Et quid du partenariat public privé (PPP) avec Vinci que vous avez acté et qui, entend-on parfois, pèserait sur les finances de la ville pour une longue période ?

Non. Il y a eu des rapports de la chambre régionale des comptes sur le PPP, qui a permis de rénover largement l’éclairage public et les feux tricolores, et des ajustements étaient prévus dès l’origine. On l’a signé parce qu’en matière d’éclairage public, les données techniques allaient évoluer, donc il était prévu qu’il y ait une clause de remise sur le métier tous les deux à trois ans de ce dispositif. Alors il y a eu des ajustements, Yvon Robert les a faits de la façon dont je les aurais faits. Mais le PPP a permis de réaliser en deux ans ce que la Ville aurait fait en quinze.

Je reviens sur la situation financière de Rouen et ses 24 millions d’euros d’investissement à peine en 2017. Comment l’expliquez-vous ?

Indépendamment d’Yvon Robert et de moi-même, la Ville paye le prix, depuis trente ou quarante ans, d’une déperdition démographique importante malgré le petit redressement récent : 112 000 aujourd’hui contre près de 130 000 à la fin des années 60. Avec, en plus, une déperdition économique car un certain nombre d’activités ont fui la ville. Et les lois sur la décentralisation ont transféré le produit de ces taxes vers les agglomérations. La Ville ne reçoit en retour qu’une très maigre consolation. Troisièmement, les charges de centralité sont très fortes. C’est une ville difficile, enserrée entre des collines, avec une traversée de fleuve, une tradition culturelle vivace qu’il faut entretenir. Et qui porte sur 110 000 habitants. Je ne vois pas le redressement de la situation dans les dix ans qui viennent.

Même si le maire, en 2020, parvient à prendre la tête de la Métropole ?

Sauf ce facteur, bien sûr. Il faudrait encore que le maire qui présiderait la Métropole à ce moment-là soit dans une situation qui lui permette de faire comprendre aux communes périphériques qu’elles ont intérêt à consolider d’abord la ville-centre avant leurs propres communes. Or, l’inverse a été fait. Dans le système Fabius, il est tout à fait clair que l’on a tiré vers la périphérie, notamment la rive sud. Je ne suis pas contre ces communes, elles doivent se développer, mais la priorité aurait dû être la ville-centre car c’est le lieu de rassemblement de l’agglomération. On a inversé les facteurs. Même la configuration du métro a avantagé la rive sud et totalement désavantagé les plateaux nord. Pour les commerçants de Rouen, qui faudrait-il faire descendre vers le centre ? Mont-Saint-Aignan, Bois-Guillaume, Bihorel… C’est là que le pouvoir d’achat se situe. Ces stratégies territoriales ont existé aussi dans l’autre sens : longtemps Bois-Guillaume a refusé de faire du logement social parce que c’était plus avantageux électoralement pour eux. Lecanuet le disait : les gens préfèrent être des roitelets dans leur petit royaume, plutôt que de concourir à une oeuvre globale. Mais tout n’est pas à jeter, il y a eu de très bonnes décisions : la rénovation des quais, le palais des sports, les docks, la pépinière d’entreprises médicales près du CHU…

Venez-en à la Métropole. Comment jugez-vous sa pertinence et la façon dont elle est conduite par Frédéric Sanchez ?

Une Métropole s’imposait. Compte tenu du morcellement, de la petite taille de la ville dans l’agglo, et du grand nombre de villes de taille moyenne, la situation est complexe. Il faut composer avec toutes ces villes, qui pèsent. Trouver l’intérêt général est compliqué. Le fonctionnement de la Métropole en tant que telle n’est pas contestable. Maintenant, c’est la définition des priorités qui, au moins dans un premier temps, ce qui a été corrigé depuis, a surtout fonctionné à l’avantage de la rive sud et des petites communes. Désormais on est vraiment dans une tentative de chercher un intérêt général et de définir des chantiers prioritaires : le palais des sports, la plaine de la Ronce, bien que ça démarre lentement, l’urbanisation de la rive gauche avec le quartier Flaubert, qui démarre encore plus lentement…

Quant à Frédéric Sanchez, je m’entends bien avec lui, même si c’était davantage le cas avec François Zimeray. Il est extrêmement directif et secret. Je connais certains de ses directeurs qui disent qu’avec lui c’est dur. Il veut être le patron, il est à la limite à la fois l’élu qui préside et le directeur des services qui dirige. Or, l’élu donne les directives, contrôle, sanctionne si besoin, mais ne dirige pas du matin au soir. Si vous le faites, vous amenez tout à vous, le moindre détail, la machine finit par se bloquer car vous découragez les gens. Ils ne prennent plus d’initiatives quand le centre de décision est unique. Il faudrait que Frédéric Sanchez en tire les conséquences, mais je ne vois pas qui dans son environnement pourrait le conduire à modifier sa ligne. Il y aurait peut-être une piste: qu’il se présente à la mairie de Rouen et qu’il voit vraiment qu’il faut tenir les deux leviers. Aujourd’hui, il n’y a pas de confiance entre la Métropole et la Ville, et le rapport est très défavorable à cette dernière. La seule façon est de mettre les dossiers sur la table et se demander ce que l’on peut faire tous ensemble.

« Hervé Morin ? Le dur est devant lui »

Que pensez-vous du rapprochement des clubs de foot de Petit-Quevilly et Rouen ?

C’est un échec en termes d’image. Quand j’entends les commentateurs parler de Quevilly-Rouen, QRM, ça ne colle pas. Qu’on fasse la fusion, peut-être, mais il fallait que Quevilly renonce à son appellation. C’était le FCR, les Diables rouges.

A l’aune du rapport de forces actuel, la Métropole restera-t-elle socialiste en 2020 ?

Oui, c’est possible. Il existe une différence entre la situation nationale et l’ancrage local. Les motivations des électeurs sont différentes. Je ne vois pas une inversion à moyen terme.

Votre jugement sur l’action d’Hervé Morin à la tête de la Région Normandie ?

Je ne suis pas avec acuité les dossiers régionaux, mais je connais bien Hervé Morin. Je dirais que c’est plutôt encourageant. Il a notamment réussi à ne pas donner le sentiment aux trois villes importantes qu’elles perdaient à la réunification. Il a réussi à faire un partage, tout en établissant le chef-lieu de la collectivité à Caen.

A Rouen, on entend pourtant des critiques sur une préférence qui serait donnée à Caen…

Mais qu’auraient été les plaintes des Caennais s’il avait tout mis à Rouen ? Il faut du temps pour cela. La méfiance était surtout bas normande. Eux se méfiaient surtout de Rouen en raison de sa taille. Là-dessus, Hervé Morin a correctement manoeuvré. Maintenant les grandes décisions sont devant lui : la réindustrialisation, le rapport avec Paris, l’axe Seine, la Ligne nouvelle Paris-Normandie… Or, il ne se passe rien à ce niveau pour l’instant. Sur le train, ça n’a pas avancé. Toujours des retards, des trains inconfortables. En parallèle, le Grand Paris avance. Nous, comment s’accroche-t-on à ce wagon-là ? Sur l’avion, je suis curieux de voir ce qu’ils vont faire de l’aéroport de Rouen à Boos. J’avais échoué. La Région a une velléité, on va voir ce que ça va donner. Le dur est devant lui.